INTRODUCTION

Ce samedi 5 octobre 2024 dans le cadre des 2èmes rencontres de « Pour Une Hydrologie Régénérative (PUHR) », nous avons la chance de découvrir et visiter le GAEC du MontLahuc.

À la frontière entre le Vercors et les Baronnies, Marc-Antoine Forconi (Marco), un des six porteurs de projets de la ferme, nous accueille dans sa petite commune de 80 habitants appelée Bellegarde-en-Diois.

 Dans cette montagne sèche allant de 900 à 1400 mètres d’altitude, il nous propose en cette journée lumineuse un petit historique du lieu ainsi que des moments de lecture de paysages au niveau des bassins versants !

En 2012, Marco et deux autres jeunes issus de l’association l’école pratique de la nature et des savoirs (EPNS) reprennent ce Groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC).

Marco nous partage ci-après leurs expériences sur ce territoire pour passer d’un modèle de ferme conventionnelle en monoculture ovine en un modèle agricole régénératif et holistique.

La ferme fait aussi partie des fermes paysannes et sauvages.

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CONSTATS

Avant d’entamer cette transition, la belle équipe a pris une année pour observer et analyser le fonctionnement de la ferme, ce qui a révélé plusieurs points critiques :

  • Faible rentabilité : le système coopératif impose une production d’agneaux en 5 mois maximum, nourris au tourteau de soja (souvent OGM) et vendus à bas prix (5€ le kilo). Le budget mécanique (gasoil, réparations) absorbe la quasi-totalité des bénéfices générés par la vente des agneaux.
  • Dépendance aux subventions : 95% du chiffre d’affaires provenait des subventions européennes, conditionnées par des critères stricts (nombre d’agneaux par brebis, taux de chargement, etc.), limitant la liberté d’action.
  • Taux de chargement insoutenable : la réglementation impose un taux de chargement de 0.1 UGB (Unité de Gros Bétail) par hectare, alors que l’évaluation de la surface agricole utile (SAU) disponible révèle qu’un taux de 0.05 serait plus adapté à l’écosystème. Cette situation conduit à un appauvrissement des sols et à une pression excessive sur le milieu.

 

  • Sur-mécanisation : la production de foin pour nourrir 800 brebis pendant 5 mois d’hivernage nécessite une utilisation intensive de tracteurs (1500 km par an), engendrant des coûts élevés en carburant et une incohérence écologique.
  • Des pratiques intensives néfastes pour les écosystèmes : l’élevage mono-spécifique de 800 brebis pendant 30 ans a engendré une pression parasitaire importante, nécessitant des traitements chimiques coûteux et nocifs pour la biodiversité, en particulier pour les bousiers. Le surpâturage a également entraîné une érosion des sols, illustrée par la formation de marnes désertifiées.
  • Attaques de loups : le manque de présence humaine et de chiens de protection a exposé le troupeau de 800 brebis aux attaques de loups, causant d’importantes pertes (80 tués et 50 disparus en une saison).

 

  • Faible connexion avec le territoire : les habitants du village n’avaient jamais consommé les produits de la ferme, qui étaient destinés à l’exportation via le système coopératif.

Face à ces constats, les trois associés ont décidé de s’orienter vers un modèle agricole plus durable et régénérateur, en s’inspirant des principes de la permaculture et des pratiques des Kogis, un peuple indigène de Colombie reconnu pour son harmonie avec la nature.

L’objectif : diversifier les productions, réinstaller du monde sur la ferme, fournir le territoire en produits locaux et restaurer les écosystèmes dégradés.

GESTION DE L'EAU - STRATÉGIES

Vente directe

  • Le système coopératif est abandonné au profit de la vente directe, ce qui permet de mieux valoriser les produits (15-17€ le kilo de viande contre 5€ en coopérative). 100% des ventes directes.
  • 80% des produits sont vendus localement, au village (80 habitants permanents et 120 en été) et dans les environs grâce à un camion frigorifique.
  • Le reste est vendu à l’abattoir de Sisteron, un petit abattoir d’éleveurs qui garantit un traitement éthique des animaux. Ils en profitent pour vendre les caissettes à des habitués qui habitent sur le chemin.

La Gestion de l’eau : Au Coeur de la Régénération des Paysages

L’eau est un élément central de la vie et joue un rôle crucial dans le bon fonctionnement des écosystèmes. Au GAEC du MontLahuc, la gestion de l’eau n’est pas abordée de manière isolée, mais intégrée à une vision holistique de la régénération des paysages.

Les principes du keyline design et de l’hydrologie régénérative sont appliqués pour maximiser l’infiltration de l’eau dans le sol.

Des Terres Uniques aux Caractéristiques Particulières

La ferme de MontLahuc se situe sur un terrain composé d’éboulis, un mélange d’argile, de pierres et de marnes. Ce type de sol, très perméable, favorise l’infiltration de l’eau. La présence de falaises, de pierriers et de forêts en amont assure une bonne infiltration de l’eau de pluie et alimente une multitude de sources en contrebas. Le village lui-même est alimenté par une de ces sources, traitée ensuite par phytoépuration.

Multiplier les Usages de l’Eau : Une Stratégie Clé

La ferme a développé un système astucieux pour maximiser l’utilisation de l’eau de source :

  • Captage et stockage : l’eau de source est captée et stockée dans une citerne de 20 000 litres en amont des bâtiments pour assurer une réserve en cas de sécheresse ou de besoin accru.
  • Multiplication des usages de l’eau : la même eau de source est utilisée plusieurs fois et alimente d’abord le village, ensuite le surplus est utilisé pour l’irrigation de la parcelle qui est en dessous puis l’eau est destinée à abreuver les animaux et finalement l’eau poursuit son chemin vers la parcelle suivante pour favoriser la production de foin.
  • Récupération des eaux de ruissellement : les eaux de ruissellement provenant des chemins sont récupérées et dirigées vers les parcelles. Actuellement, ils ne récupèrent pas l’eau de pluie qui tombe sur les toitures des bâtiments. Pourquoi ? Car ils la laissent poursuivre son chemin et s’infiltrer vers les nappes phréatiques. En effet, pourquoi nos paysages ne sont-ils plus suffisamment hydratés ? Car on envoie l’eau qui tombe sur nos toits directement à la mer, idem pour l’eau des routes ou encore, au niveau agricole, pour le drainage. Sans compter l’eau que l’on puise dans les nappes phréatiques pour l’irrigation… Comment reprend-t-on les choses dans l’autre sens ?

    Retarder le Ruissellement et Favoriser l’Infiltration

    L’objectif est de retenir l’eau le plus longtemps possible sur le terrain pour recharger les nappes phréatiques, favoriser la croissance des plantes et limiter l’érosion. Différentes techniques sont mises :

    • Baissières : ces fossés peu profonds, creusés en suivant les courbes de niveau, ralentissent l’écoulement de l’eau et favorisent son infiltration dans le sol. Elles servent également de support pour la plantation d’arbres, créant ainsi des haies qui agissent comme des brise-vents et des corridors écologiques. La baissière aide à faire pousser la haie. Un taux de 95% de reprise des arbres plantés et ce sans arrosage. La clé : le BRF ! Vingt centimètres sont appliqués au pied de l’arbre ainsi que du carton (60cm/60cm) pour diminuer l’enherbement.

    • Haies et arbres : les haies et les arbres plantés le long des baissières contribuent à la création d’un microclimat plus humide en limitant l’évapotranspiration et en favorisant la condensation. La présence de végétation dense augmente également la rugosité du sol, ce qui ralentit le ruissellement et favorise l’infiltration. Des haies brise-vent sont plantées pour stopper l’assèchement du sol et créer des ouvrages topographiques durables.

    Regénérer les Sols : Un Enjeu Majeur pour la Rétention de l’Eau

    La santé des sols est indissociable de la gestion de l’eau. Un sol vivant et riche en matière organique est capable de retenir davantage d’eau, limitant ainsi le ruissellement et l’érosion. Le GAEC du MontLahuc a mis en place différentes pratiques pour restaurer ses sols :

    • Arrêt du labour : le labour a été abandonné au profit du décompactage, une technique qui préserve la structure du sol et la vie microbienne.
    • Semences de prairies naturelles : la ferme récolte ses propres semences de prairies naturelles, adaptées au terroir, pour reconstituer son parcellaire en prairies permanentes, limitant ainsi le besoin de travailler le sol.
    • Choix des cultures : la luzerne, gourmande en eau, a été remplacée par le sainfoin (une coupe), une plante plus adaptée au climat sec de la région, qui fixe l’azote atmosphérique, attire les insectes et possède des propriétés anti-parasitaires.
    • Bois raméal fragmenté (BRF) : le BRF, issu notamment des branches des arbres taillés en trognes, est utilisé comme paillage pour protéger le sol, maintenir son humidité et nourrir les micro-organismes du sol.
    • Biochar : est produit à partir de buis et chargé d’inoculum de micro-organismes, de compost, de bouse de corne et d’autres éléments pour stimuler la vie du sol et séquestrer du carbone. Le biochar est incorporé au fumier pour faciliter son application et sa diffusion dans les sols. Une tonne de biochar séquestre 2,6 tonnes de carbone et stocke 5 fois son volume en eau, améliorant la rétention d’eau des sols.

    • Foin : au vu du nombre d’animaux, ils sont obligés d’acheter du foin. Cela reste tout de même dans une logique de cycle : l’eau et l’érosion font descendre la matière dans la plaine et eux la remonte et créent ainsi un cycle vertueux.
    • Pâturage adapté : le pâturage est adapté aux conditions du sol (petits animaux sur sols humides).
    • Régénérer les marnes : un travail important est mené pour régénérer les marnes, victimes de l’érosion due au surpâturage. Des bottes de foin moisies, du fumier et du BRF sont utilisés pour restaurer la végétation et stopper l’érosion. Action faite joyeusement avec les villageois. Les semences de « mauvaises herbes » récupérées lors de la moisson sont utilisées pour aussi restaurer ces zones dégradées.

        L’Importance des Petits Cycles de l’Eau

        La ferme accorde une grande importance aux petits cycles de l’eau, notamment l’évapotranspiration et la condensation, qui contribuent à maintenir l’humidité des sols et à limiter l’assèchement. Plusieurs techniques sont utilisées pour favoriser ces cycles :

        • Plantes à obolastes : ces plantes, capables de capter l’humidité atmosphérique, sont intégrées aux haies et aux plantations.
        • Bocages : la création de paysages bocagers, avec des haies et des bosquets, permet de piéger l’humidité et de créer un microclimat plus frais et humide. Effet « boîte à oeufs » ou brocoli.
        • Trognes : la taille des arbres en trognes favorise le développement de mycorhizes, des champignons symbiotiques qui contribuent à la circulation de l’eau dans le sol.
        • Mycorhizes : elles diffusent l’eau jusqu’à 150 m horizontalement et 50 m verticalement.

        S’appuyer sur la Nature et ses Acteurs : Le Castor & le loup, des Alliés Précieux

        Le GAEC du MontLahuc a compris l’importance de s’appuyer sur la nature et ses processus pour régénérer les écosystèmes.

        Le castor, un animal ingénieur, est considéré comme un allié précieux dans cette démarche. La présence de castors sur la ferme a permis la création de zones humides qui :

        • Augmentent la biodiversité : les zones humides créées par les castors abritent une grande variété d’espèces végétales et animales, notamment des libellules rares.
        • Rechargent les nappes phréatiques : les barrages construits par les castors ralentissent l’écoulement de l’eau et favorisent son infiltration dans le sol.
        • Créent des habitats : les zones humides offrent des habitats essentiels pour de nombreuses espèces animales, contribuant ainsi à la richesse écologique du territoire.

        Vidéo explicative

        Le loup est reconnu comme un allié essentiel pour la régénération des forêts car il régule les populations de grands herbivores et favorise la croissance des jeunes arbres.

        L’équipe cherche à favoriser la circulation de la faune sauvage (loups, castors, sangliers, chevreuils…) dans la ferme en créant des corridors écologiques et des zones de refuge.

        Création d’habitats pour la faune sauvage

        • Des trognes (arbres taillés régulièrement) sont remises en place pour stimuler les mycorhizes (champignons symbiotiques) qui favorisent la circulation de l’eau dans les sols.
        • Des arbres fruitiers et des plantes mellifères sont plantés pour attirer les pollinisateurs et fournir des ressources alimentaires à la faune sauvage.
        • 90 nichoirs à oiseaux ont été installés grâce à un chantier participatif avec les habitants du village.

         

        • Des mares sont créées près des zones humides et des sources pour offrir des habitats aux amphibiens, libellules et autres espèces aquatiques.
        • Des fruits sauvages sont ramassés et dispersés dans les forêts pour nourrir la faune et favoriser la régénération naturelle des arbres.

        UN MODELE COLLECTIF : LA CLÉ DE LA REUSSITE ET DE LA PÉRENNITE

        Le modèle collectif est au cœur de la réussite du GAEC du MontLahuc. Les six associés, passionnés par leur métier et animés par une vision commune, ont mis en place une organisation basée sur le partage, la collaboration et la prise de décision collective.

        Vision commune et pérennité du projet

        Le modèle collectif, avec 6 associés actuellement, garantit la continuité du projet, même en cas de départ d’un membre.

        Les porteurs de projet ne proposent pas des activités « parce que le territoire le permet » mais bien parce qu’ils sont passionnés par cette activité !

        Référents et Polyvalence

        Chaque associé est référent d’un atelier (vaches, brebis, chevaux, chèvres, communication, écosystèmes), ce qui lui confère une certaine autonomie tout en assurant une expertise pointue. Cependant, tous les associés sont polyvalents et capables d’intervenir sur les différents ateliers, ce qui garantit la continuité du travail en cas d’absence ou de besoin ponctuel.

        Le travail collectif permet de partager les charges de travail, d’avoir plus de temps libre et d’avoir une meilleure qualité de vie.

        Réunions et Communication

        Des réunions hebdomadaires permettent d’organiser le travail, de partager les informations, de prendre des décisions collectivement et de faire le point sur les avancées et les difficultés. Ces moments d’échanges favorisent la cohésion du groupe, la résolution de conflits et la transparence des actions.

        Équilibre et Confiance

        L’absence de hiérarchie, l’égalité des salaires et du temps de travail contribuent à créer un climat de confiance et de respect mutuel. La période de pré-installation d’un an permet aux nouveaux arrivants de s’immerger dans le fonctionnement de la ferme, de découvrir les différents ateliers et de s’intégrer au collectif.

        Transmission des Savoirs

        Le modèle collectif facilite la transmission des savoirs et des compétences entre les associés, assurant ainsi la pérennité du projet. Les anciens peuvent partager leur expérience avec les nouveaux, tandis que les jeunes apportent de nouvelles idées et des perspectives différentes.

        Les personnes souhaitant rejoindre le GAEC effectuent une période de pré-installation d’un an pour découvrir le fonctionnement de la ferme, ses différents ateliers et le rythme des saisons. Cette période permet de s’assurer de la compatibilité entre le projet et les aspirations des nouveaux arrivants.

        OUVERTURE ET COLLABORATION AVEC L’EXTERIEUR

        Le GAEC du MontLahuc s’engage dans une démarche d’ouverture et de collaboration avec divers acteurs :

        • Habitants du village : implication des habitants dans des chantiers participatifs (plantation d’arbres, création de mares, ramassage de fruits…) pour renforcer les liens avec le territoire, sensibiliser à l’agroécologie et partager les connaissances.
        • Chasseurs : dialogue et collaboration avec les chasseurs pour une gestion responsable de la faune sauvage, favorisant la régénération des forêts.
        • Experts et mentors : échange avec des experts en permaculture, keyline design, gestion holistique du pâturage, etc., pour enrichir les pratiques et s’inspirer de modèles existants.
        • Communauté Kogis : collaboration avec les Kogis de Colombie pour observer et apprendre de leurs pratiques ancestrales de régénération des écosystèmes.
        PERSPECTIVES D’AVENIR ET RAYONNEMENT DU PROJET

         Marco évoque plusieurs perspectives pour le futur du GAEC du MontLahuc :

        • Laboratoire d’observation des pratiques Kogis : transformation de « la Comtesse » (un lieu appartenant à l’association) en un espace dédié à l’observation et l’expérimentation des pratiques Kogis.
        • Production d’énergie à partir du biochar : développement d’un système de production d’énergie à partir des gaz de pyrolyse du biochar, pour une autonomie énergétique accrue et la séquestration du carbone.
        • Protection du corridor écologique : mobilisation citoyenne et recours juridiques pour protéger le corridor écologique de la rivière PS, menacé par la destruction des barrages de castors.
        • Acquisition de terres : poursuite de l’acquisition de terres pour agrandir la ferme et consolider le modèle collectif.
        • Partage et diffusion du modèle : partage des connaissances et diffusion du modèle permacole auprès d’autres agriculteurs, notamment via des visites, des formations et des témoignages dans les médias.
        CONCLUSION

          La présentation de Marco offre une vision inspirante de l’agriculture régénérative, basée sur l’observation attentive de la nature, l’intégration des savoirs traditionnels et la collaboration entre les êtres humains et les autres espèces vivantes.

          Le GAEC du MontLahuc incarne un modèle d’agriculture durable, résilient et économiquement viable, capable de répondre aux défis du changement climatique et de la perte de biodiversité, tout en offrant une meilleure qualité de vie aux agriculteurs et en revitalisant les territoires ruraux.